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Un livre à lire : Ralentir ou Périr

Au registre des livres particulièrement éclairants sur l’état du monde actuel peut figurer sans conteste « Ralentir ou Périr » de Timothée Parrique, Docteur en économie, chercheur universitaire, spécialiste de la décroissance et de la post-croissance. Celui-ci renvoie dos à dos les concepts de PIB et de croissance qui nous poussent à franchir les limites planétaires, de même que la « croissance verte » dont il démontre l’impossibilité définitive. Point de salut en dehors de la décroissance, un impératif aussi salvateur que mal compris.

Là encore, ce résumé exhaustif, sans doute un peu long, ne vise qu’à donner envie de lire le livre

L’idolâtrie de la croissance est un phénomène récent qui n’a débuté comme grand récit qu’après 1945, d’abord aux USA, souvent contre l’avis des politiciens qui ne comprenaient pas l’intérêt de faire croître à jamais ce « PIB » qui ne mesurait pas le bien-être. En fait, la nouveauté de cet indicateur ne résidait pas dans la volonté de richesse, simplement dans une nouvelle façon de la mesurer. Inventé dans le contexte particulier du New Deal (la politique américaine mise en place pour sortir de la Grande Dépression), le PIB ne mesure qu’un simple agrégat des transactions monétaires, utile alors pour mesurer les effets de la politique de relance du gouvernement.

Ce n’est qu’après le Seconde guerre mondiale que le PIB est devenu un mantra aussi absurde que suicidaire. La simple mesure d’une politique ciblée dans un contexte particulier est devenue un Graal dont l’augmentation perpétuelle a été appelée « croissance ». Cette croissance ne s’obtient que par deux moyens : l’expansion du périmètre de l’économie ou l’intensification des transactions.

Le premier moyen, l’expansion du périmètre de l’économie s’obtient souvent par captation ou dépossession d’une richesse réelle existante mais non commerciale (donc hors du champ mesuré par le PIB). Par exemple, les locations type « airbnb » ont remplacé les plateformes d’échange de logements. Les personnes proposant ce service se sont vues contraintes de recourir à la location pour pouvoir payer eux-mêmes le logement naguère fruit d’un échange de gré à gré. D’autres richesses réelles restent à l’inverse ignorées par le PIB comme les systèmes d’échange locaux, les coopératives ou encore les pedibus. Le second moyen, l’intensification des transactions, s’opère par l’obsolescence programmée et la baisse de qualité des produits au détriment évident du pouvoir d’achat.

La réduction de la croissance, ou « décroissance », s’obtient par le contraire de ces deux modes, à savoir la protection des richesses réelles contre les prédations marchandes et une consommation aussi responsable que respectueuse du pouvoir d’achat. Il a noter que, loin d’être un dogme, la décroissance n’est qu’une étape, nécessairement limitée dans le temps, visant uniquement à ramener nos économies en dessous des plafonds planétaires au nous avons largement dépassée. La société « post-croissance » à laquelle elle doit aboutir ne sera plus décroissante mais stable. L’économie stationnaire se définira par l’efficience économique, autrement dit par le retour à ce qui fut la finalité première de l’économie, à savoir l’organisation sociale de la satiété des besoins qui a été abandonnée au profit d’une course irresponsable à l’accumulation infinie dans un monde fini.

En ne comptabilisant que les échanges marchands au détriment de la richesse réelle, le PIB ne mesure donc que de « l’agitation économique ». Mais ce n’est pas son seul défaut. Sa valeur est en effet arbitraire. Elle repose sur le choix d’inclure ou d’exclure des activités de son périmètre de mesure. Ainsi la différence entre PIB (Produit Intérieur Brut) et PIN (Produit Intérieur Net) ne reste négligeable qu’à la condition de n’y compter que la seule dépréciation du capital et pas celle du travail (bien-être et santé des travailleurs), ni le capital social (coût des infrastructures) ni le capital naturel (traitement de la pollution). En intégrant ces coûts entièrement à la charge de la collectivité, le PIN serait tout simplement insoutenable.

Autre cible de l’auteur : la « croissance verte » est un mythe définitif et le « découplage » annoncé entre économie et écologie est une fake news pour cinq raisons : 1) on ne parle que de carbone (et non, par exemple dans le cas des éoliennes, de la dégradation des sols ni de leur production) ; 2) les importations ne sont pas comptabilisées (il serait plus juste d’utiliser un indicateur de consommation) ; 3) le découplage est souvent temporaire avant de booster ensuite la demande ; 4) les ordres de grandeurs sont insuffisants (deux points cumulatifs de PIB doublent la production à chaque génération) ; 5) Beaucoup d’entre aux masquent en réalité des ralentissements de l’activité.

La probabilité d’un découplage se heurte par ailleurs à cinq limites majeures : 1) les taux de retour énergétiques décroissants (principe du low hanging fruit) s’opposent à l’augmentation croissante des besoins énergétiques ; 2) l’effet rebond (toute amélioration ou baisse de coût entraîne une intensification de l’utilisation) ; 3) l’empreinte écologique des services (l’économie est un tout) ; 4) les limites du recyclage (tout ne se recycle pas, les produits complexes sont plus difficile à recycler, recyclage annulé par les taux de remplacement des produits) ; 5) les freins technologiques de l’innovation productive par rapport à la croissance (une production qui double à chaque génération nécessiterait un gain de productivité de 100 % ne serait-ce que pour maintenir son taux de départ, alors que celle-ci est déjà largement insuffisante).

L’auteur pointe ensuite la dissolution du lien social qu’entraîne la marchandisation qui ne fait qu’accumuler par la dépossession. Par exemple, un système d’échange local de garde d’enfants, s’il est soumis à la concurrence de crèches privées, n’a aucune chance d’atteindre la masse critique (nombre d’enfants, confiance des parents, etc.) dont il a besoin pour fonctionner : le coût d’opportunité s’oppose à la mise en place de l’alternative bon marché. La masse critique ne laisse plus le choix : on doit marchandiser à notre tour pour pouvoir acheter les autres biens. Nous devenons capitalistes malgré nous et l’appât du gain devient le motif de l’interaction sociale : « payer » remplace désormais « remercier » et « devoir rendre ». Le paiement légitime désormais des comportements jugés autrefois antisociaux (par exemple, on ne ramasse plus ses crottes de chien par ce qu’on « paye des impôts pour ça », un passe-droit m’autorise à ne pas faire la queue, etc.).

Une démarchandisation changerait le rapport avec le monde et générerait de meilleures satisfactions : un service rendu gratuitement n’a pas la même saveur sociale que son achat. Tout comme airbnb est une corruption de l’hospitalité, le sentiment de « ne pas en avoir pour son argent » change la relation sociale. L’auteur reprend à l’économiste Jacques Généreux sa formule de « dissociété » : « cette force centrifuge qui éclate en éléments rivaux les composants autrefois solidaires d’une société humaine ».

La deuxième partie du livre explore un grand nombre de pistes alternatives qu’il serait hasardeux de résumer ici sans risquer de les dénaturer. Citons qu’une distribution plus harmonieuse de la valeur ajoutée actuelle permettrait à chacun de satisfaire ses besoins sans besoin de croissance supplémentaire, en dégageant même un surplus de 44% (chiffre en 2021). Les options proposées vont d’une répartition différente de l’emploi à la démarchandisation d’une partie de l’économie (accès gratuit aux service de base, investissement dans les services publics) en passant par nombres d’autres propositions.

L’auteur s’emploie aussi à déconstruire les discours trompeurs sur la dette, notamment son expression aussi récurrente que trompeuse en « points de PIB ». Il est en effet abusif de comparer une dette qui est un stock (somme des déficits accumulés) au PIB qui est un flux (différence au cours d’une année entre les recettes et les dépenses). Une mesure adéquate du poids de la dette consiste à comparer ce qui est comparable, à savoir des flux : la charge de la dette (flux monétaire annuel dédié au paiement de la dette ) et le PIB. En 2020, le coût de la dette publique avoisinait 1,5 % du PIB (2,5 % des recettes publiques), soit une dépense publique comme une autre qui dépend des taux d’intérêt auquel l’État emprunte. Sachant que la dette est majoritairement détenue par les ménages aisés qui prêtent à l’État de l’argent qui n’a pas été taxé (par exemple par la réduction de progressivité de l’impôt sur le revenu), on voit que la dette n’est pas un mécanisme inéluctable mais bien la résultante d’un choix fiscal et donc d’une politique de redistribution (aux riches).

La croissance ne fait pas le pouvoir d’achat : celui-ci dépend du partage de la valeur ajoutée plus que du niveau de production. Entre 1967 et 2013, le PIB américain a quadruplé alors que dans le même temps, le revenu médian réel des ménages a seulement augmenté de 19 % jusqu’en 1999 et stagné depuis. Le PIB par habitant augmente, mais ce n’est qu’une illusion statistique car le revenu médian des ménages stagne. À Londres, le marché immobilier est majoritairement privé alors que l’immobilier à but non lucratif prévaut à Vienne. Cette dernière est pourtant classée première au Mercer Quality of Living pour la qualité du logement et de la vie, et Londres classée 41e.

Le chapitre 5 résume une « petite histoire de la décroissance », résultat de plusieurs générations de concepts qui remontent au moins aux années 1960. Depuis, deux décennies de « développement durable » n’ont pas eu d’impact significatif sur notre trajectoire et l’avenir cauchemardesque annoncé par le rapport Meadows est en train de se matérialiser. Parler de « limites à la croissance » ne suffit plus pour interpeler. Il faut aller plus loin avec la décroissance. La décolonisation de l’imaginaire de la croissance devient l’une des phrases les plus célèbres du corpus décroissant. En 2022, même le GIEC commence à évoquer la décroissance comme une alternative à la croissance verte, en ce qu’elle « explore l’intersection entre la soutenabilité environnementale, la justice sociale, et le bien-être ». Les politiciens sont pour l’heure plus frileux à parler de décroissance, même chez les Verts (à la primaire de 2021, Delphine Batho, « candidate de la décroissance », arrivera troisième derrière Yannick Jadot qui « se fout complètement » de la question).

Le chapitre 6 dépeint « un chemin de transition », en quoi consisterait la décroissance et comment elle serait mise en œuvre. Pas moins de 380 mesures concrètes de décroissance ont été identifiées. À la différence d’une récession, la décroissance n’est pas subie mais planifiée. Contrairement à l’opinion courante, toute économie est planifiée. Rien ne se produit et ne se consomme jamais tout seul. Et cela vaut pour l’économie mondialisée actuelle où ce sont les grandes entreprises qui décident quoi produire dans une optique de lucrativité. Une planification organisée pour la décroissance le serait dans une optique de soutenabilité. Une rapide comparaison internationale nous montre que les marges de manœuvre pour la décroissance sont gigantesques : pour une qualité de vie similaire, l’empreinte carbone moyenne d’un costaricain n’atteint pas le tiers de celle d’un français et le cinquième de celle d’un américain.

Le chapitre 7 ouvre la voie vers « « une économie de la post-croissance », la décroissance n’étant qu’une phase transitoire, un moyen. Cette deuxième phase se définit comme une économie stationnaire en relation harmonieuse avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. Une économie du contentement produit ce dont nous avons vraiment besoin, pas plus, les besoins humains étant fondamentalement finis. Il faut lever un doute répandu : la stagnation de la production ne signifie en aucun cas la fin de l’innovation et du progrès. Dans cette économie, les gains de productivité ne seraient pas utiliser pour augmenter la production comme aujourd’hui, mais plutôt pour réduire le temps de travail et rendre ses conditions plus agréables. Une économie stationnaire ne peut produire davantage que si elle parvient à améliorer la façon dont elle utilise son « budget écologique » ou si celui-ci augmente. Le mode de production y sera aussi circulaire que possible en termes d’utilisation des matériaux, et aussi renouvelable que possible en termes d’énergie.

Après un passage en revue au chapitre 8 des principales controverses auxquelles l’auteur répond, la conclusion nous invite à « déserter le capitalisme ». Rappelant les mots de Greta Thunberg aux Nations unies en 2019 : « Des écosystèmes entiers s’effondrent, nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez, c’est d’argent, et des contes de fées de croissance économique éternelle ? Comment osez-vous ! », l’auteur résume que « passé un certain seuil, la croissance du PIB cesse d’être une valeur ajoutée et devient une valeur arrachée ». « L’absurdité de la situation ne manquera pas de consterner les générations futures, qui se demanderont à bon droit comment nous en sommes venus à organiser la société autour d’un unique indicateur monétaire, de la même manière que nous nous moquons aujourd’hui de ces tribus qui faisaient des sacrifices pour influencer la météo ». L’économie croit mais la pauvreté subsiste. Un rapport des Nations unie de 1996 résume bien la situation : la croissance dont nous faisons l’expérience est « sans emploi, sans pitié, sans voix, sans racines, et sans avenir ».

Le message du livre est clair : il faut dire « adieu à la croissance ».

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